CONFRÉRIES MUSULMANES

CONFRÉRIES MUSULMANES
CONFRÉRIES MUSULMANES

L’Islam ne reconnaît en principe aucun ordre religieux, aucun clergé, aucune hiérarchie spirituelle. Pourtant le mysticisme musulman ou çoufisme (ou soufisme), d’abord individualiste, devait peu à peu, sous l’influence du monachisme oriental, et surtout à partir du XIIe siècle, s’organiser en associations admettant l’autorité d’un maître spirituel, pratiquant une discipline et utilisant un rituel commun.

La voie vers Dieu

Ces associations religieuses sont appelées en arabe t’ariq (pluriel: t’uruq ), c’est-à-dire «voie», «chemin du voyage vers Dieu», bien que ce mot désigne plus exactement l’ensemble des rites d’entraînement siprituel proposés par les diverses congrégations. Le mot français «confréries» est employé par analogie, car les affiliés portent le nom d’ikhw n , vulgairement khou n («frères»).

Les confréries musulmanes se rapprochent des ordres religieux chrétiens en ce qu’elles reconnaissent un maître, le chaïkh , des préposés locaux, et qu’elles comportent des novices et des disciples (muroud ) reçus après initiation devant une hiérarchie de témoins et voués à l’obéissance. La plupart des confréries possèdent aussi des sortes de couvents ou centres de prières (z w 稜ya encore appelés rib t , khanqa , tekkiyé ) généralement construits auprès de la tombe d’un saint vénéré dont on vient implorer la bénédiction (baraka ). Quelques-uns abritent une vie monastique (vie commune des frères), mais le célibat est exceptionnel. On y pratique des exercices liturgiques particuliers, jeûnes, invocations, récitation de litanies (dhikr ). Chaque confrérie utilise ses formules spéciales de dhikr , ses litanies de noms et d’attributs divins, ses recueils de textes coraniques ou de poésies mystiques.

Toutes les confréries comprennent aussi des affiliés, à la manière des tiers ordres catholiques. Ceux-ci subissent, tout comme les novices, un rituel d’initiation et sont ensuite tenus à certaines pratiques collectives: retraites, méditations ascétiques, veillées pieuses et prières accompagnées ou non de musique et de danse, fêtes annuelles (zerda , moussem ), visite au tombeau du fondateur (ziy ra ), offrandes et aumônes pieuses, travaux d’entraide.

Les canonistes musulmans ont constamment lutté contre les confréries, suspectes d’innovations blâmables ou d’illuminisme. Celles-ci ont toujours affirmé ne pas s’écarter de l’orthodoxie; leurs maîtres en mystique ou leurs fondateurs disent se rattacher par une chaîne spirituelle ininterrompue aux compagnons du Prophète ou à quelques saints de l’islam. Quant à leur rituel et à leur dhikr , ils auraient tous une justification coranique. En réalité, les généalogies spirituelles ou les références à l’enseignement du Prophète sont souvent laborieuses, invraisemblables, et elles ne résistent pas à la critique historique. Certains des exercices surérogatoires des confréries, danses, acrobaties, aidés par l’usage d’excitants (café, haschich, opium) favorisant les transes mystiques, ont pu facilement dévier de leurs intentions et ont abouti par exemple aux exhibitions des derwich tourneurs ou hurleurs ou à celles des Aïssaouas de Meknès.

Rôle historique des confréries musulmanes

Bien qu’une minorité seulement de musulmans se soient affiliés aux confréries, celles-ci n’en ont pas moins joué un rôle historique de premier plan. Elles ont fourni des missionnaires pour la conversion des populations conquises et développé un mysticisme populaire qui a facilité l’adhésion des masses. Elles ont souvent animé la résistance aux envahisseurs chrétiens et dirigé quelques reconquêtes victorieuses, telle celle menée au Maghreb au XVIe siècle. Dans certains empires musulmans, elles ont contribué à entretenir jusqu’à nos jours les particularismes tribaux ou nationaux: ainsi chez les Kurdes, les Albanais, les Berbères.

Par leur extension à l’ensemble du monde islamique et leur centralisation théorique, les confréries ont pu donner l’illusion d’une force politique redoutable. Toutefois la cohésion entre les diverses branches d’un même ordre fut toujours très faible, et la dénonciation d’un «péril confrérique» faite par les Européens du XIXe siècle relève de l’aspect légendaire du panislamisme.

En revanche, dans les pays musulmans où le pouvoir étatique était faible ou nul, le rôle politique des confréries fut souvent essentiel: ainsi en Cyrénaïque et dans le Maghreb, en Afrique noire et en Indonésie. Aux époques d’anarchie, elles formaient le seul cadre social solide et en vinrent à assumer des pouvoirs politiques voire étatiques. Après la Seconde Guerre mondiale, le chef de la San s 稜ya est devenu le souverain constitutionnel de la Libye par simple reconnaissance d’un état de fait. En Algérie, les confréries ont, du XVIe à la fin du XIXe siècle, incarné le sentiment d’indépendance des populations, en combattant ou en composant avec les Turcs, puis avec les Français. Dans la Turquie ottomane, elles ont imposé leurs directives à certains sultans faibles ou mystiques, mais se sont vu rabaisser par les souverains énergiques. L’une d’elles, la Bekt’ ch 稜ya, a constamment animé et dominé le corps des janissaires.

Les activités sociales et charitables des confréries furent toujours importantes et demeurent fort utiles. Comme elles possèdent généralement des biens immobiliers importants, sous forme de biens de mainmorte, et collectent régulièrement des aumônes, elles peuvent entretenir des écoles de divers niveaux, aider les voyageurs, les malades et les pauvres.

La décadence?

De nos jours, l’influence des confréries est partout en baisse et tend à disparaître dans certains États musulmans. Le rationalisme et le matérialisme contemporains ont déprécié le mysticisme çoufi; les ‘ulam réformateurs et les modernistes ont dénoncé avec une vigueur accrue les confréries, accusées d’avoir encouragé l’ignorance, entretenu les superstitions, abusé de la crédulité de leurs adeptes. Les nationalistes les ont accusées de compromission avec les puissances coloniales. La République turque a décrété dès 1925 leur suppression et confisqué leurs biens, sans réussir à les abattre complètement. Devenues quasi inexistantes au Proche-Orient, les confréries subsistent néanmoins dans le Maghreb et l’Afrique noire.

Malgré la décadence actuelle, il s’est encore créé au XXe siècle de nouveaux ordres mystiques (ainsi l’Alaou 稜ya, fondée en 1920 en Algérie par le chaïkh Ben‘Al 稜oua), tandis que d’autres se réformaient complètement. Leur disparition n’est donc pas inéluctable.

La plupart des grandes confréries ont été fondées entre le XIIe et le XVe siècle. On a pu en compter plus d’une centaine, dont les deux tiers existent encore, mais elles n’auraient pas plus de 3 p. 100 d’affiliés en moyenne par rapport au nombre des fidèles dans les divers pays d’islam.

Parmi les confréries les plus importantes, on peut citer: la Q dir 稜ya, du nom de son fondateur, ‘Abd al Q dir al J 稜l n 稜, mort en 1166, considéré comme le plus grand saint de l’islam. Elle compta des fidèles dans tous les pays musulmans, du Maghreb à la Chine, et demeure vivante en Afrique du Nord, au Soudan et au Sénégal; la Naqchaband 稜ya, fondée au milieu du XIVe siècle, rayonna du Caucase au Turkestan et à l’Inde; elle a inspiré les muroud qui ont résisté aux armées russes dans le Daghestan et nourri le nationalisme kurde; le Ch dhil 稜ya ou Ch dhoul 稜ya fondée au XIIIe siècle, est une confrérie surtout africaine, vivace en ses diverses ramifications (Madan 稜ya, Is w 稜ya, Darq wa, surtout dans les régions berbères); la Bekt’ ch 稜ya compta de nombreux affiliés en Turquie et en Albanie; elle imposait – fait original – le célibat; la Tidj n 稜ya reste influente au Maghreb et dans l’Afrique occidentale; la Chatt r 稜ya rayonne de l’Inde à la Malaisie. On peut citer encore la Rah’m n 稜ya, organisée vers 1750 par un chaïkh kabyle et devenue la plus importante confrérie algérienne (150 000 membres vers 1900, et 170 z w 稜ya); la Mawl w 稜ya (vulgairement «derviches tourneurs»), se réfugia en Syrie après les persécutions des kémalistes; la San s 稜ya, l’ordre des Senoussis, fondée en 1837 par le chaïkh algérien As-San s 稜, est un ordre militant et centralisé à qui l’on a prêté de vastes desseins conquérants: elle a lutté essentiellement contre la pénétration et la colonisation italiennes en Libye et en Cyrénaïque.

Les Français ont appelé maraboutisme le culte des saints favorisé par le çoufisme et parfois organisé par les confréries. Mais le culte des saints, surtout dans l’islam maghrébin, est un phénomène bien plus général et plus spontané que l’islam mystique des confréries.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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